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Le syndrome de l’imposteur en ergothérapie : un fléau silencieux

11 octobre 2024
Développement professionnel des ergothérapeutes

Que ce soit en séance de mentorat, mais également dans les 23 interviews que vous m’avez offertes pour construire mon article pour les JNE (Journées Nationales de l’Ergothérapie) et encore… quand vous m’écrivez des messages privés sur Insta ou LinkedIn, le syndrome de l’imposteur (ou le sentiment d’être illégitime, incompétent) n’est jamais loin.

Dans cet article, nous allons aborder commentce fameux syndrome de l’imposteur s’exprimespécifiquementpour les ergothérapeutes et surtout, que peut-on faire pour le comprendre et diminuer ses effets dans le quotidien ?

Le syndrome de l’imposteur : qu’est-ce que c’est ?

À chaque fois que j’ai une question qui me taraude, je cherche dans Pubmed et Google Scholar ce qui se passe dans la littérature scientifique sur le thème.

Ma première surprise est la suivante : même si je n’ai pas fait une revue littéraire complète et que je suis peut-être passée à côté d’un article dédié à ce thème, je n’ai rien trouvé qui parlait spécifiquement de l’“imposter syndrome” ou “imposter phenomenon (IP)” chez les ergothérapeutes (d’ailleurs si tu as un article sous la main qui étudie le syndrome de l’imposteur chez les ergos, envoie-le moi ! 🚀).

Ce que j’ai trouvé, ce sont des articles sur les médecins, sur les kinés aux USA ou encore sur le lien entre burn-out, anxiété et syndrome de l’imposteur chez les personnes qui font des études supérieures (ce qui est notre cas, je le précise parce que si tu lis ces mots, tu oublies peut-être régulièrement que tu as (minimum) un bac+3 😄)

Il y a aussi des références qui évoquent le phénomène et ses répercussions pour les femmes et les personnes issues de minorités ethniques (la bibliographie est en bas de page).

La littérature indique que beaucoup de personnes du corps médical ressentent ce phénomène, et pas uniquement les ergothérapeutes (médecins, kinés, anesthésistes etc, tous concernés !).

Alors, c’est quoi ce fameux syndrome ?

Le syndrome de l'imposteur est un sentiment persistant de doute de soi et d'illégitimité malgré des succès objectifs, où la personne a l'impression de tromper les autres sur ses compétences et craint constamment d'être "démasquée”.

La littérature est claire à ce sujet, vivre ce phénomène s’accompagne d’anxiété, de burn-out et peut pousser à des problèmes plus graves comme la dépression.

En effet, si tu ressens le syndrome de l’imposteur, en général tu ne vas pas le crier sur les toits : la honte ressentie de se sentir inférieur-e est bien réelle et pousse à se taire, à se sentir seul-e et à ruminer… ce qui actionne d’autres leviers pas très sympathiques comme le perfectionnisme et la suradaptation.

Tout cela est lié, mais aujourd’hui on va surtout se centrer sur l’illégitimité, pour faire le tri.

Les signes spécifiques du syndrome de l’imposteur chez les ergothérapeutes

Dans l’une des études, il est précisé que ce fameux syndrome est ressenti “dans des professions très performantes orientées vers des objectifs”.

Tiens tiens ! Cela nous rappelle quelque chose ces histoires d’objectifs !

Sans surprise (☹️), une revue littéraire a montré que les femmes, les personnes avec une faible estime de soi, et celles confrontées à des environnements institutionnels hostiles sont plus susceptibles de souffrir de ce syndrome.

Et à propos de violence institutionnelle, plusieurs fois je suis ressortie bouleversée par vos témoignages d’environnements maltraitants pour vous et vos patients.

Malheureusement, dans ce type d’environnements toxiques, le syndrome de l’imposteur ressenti par les personnes ne peut être soulagé, puisque tout est fait pour appuyer sur les vulnérabilités des soignants.

Sortir du syndrome de l’imposteur dans ce genre de cas passe la plupart du temps par un éloignement de l’environnement délétère. 

Si tu sens que c’est ton cas, fais-toi aider urgemment 🫶

Toutefois, beaucoup d’entre vous ont aussi parlé d’un environnement plutôt stable, pas parfait (car qu’est-ce qui l’est ?) mais pas non plus délétère.

Dans ce type d’environnement où il y a une marge de manœuvre, où tu n’es pas “à bout” psychologiquement ni en hypervigilance constante, bref quand il est possible d’avoir encore de la ressource, tu peux trouver des solutions et apaiser le syndrome de l’imposteur.

Voici quelques exemples qui sont revenus plusieurs fois, et pour lesquels il y a des explications à donner du point de vue de notre histoire, de notre contexte social français et de nos individualités.

  • Tu doutes de la qualité de ton travail, même quand tes patients montrent des améliorations car tu te dis que cela pourrait être fait par quelqu’un d’autre (”même par quelqu’un qui passe dans la rue”, oui oui, j’ai entendu ces mots… plusieurs fois ! 🥲)
  • Tu ressens le besoin constant de vérifier le référentiel de compétences pour être sûre que tu fais bien de l’ergothérapie (en même temps notre éventail des possibles est tellement large que c’est difficile même pour nous de se sentir sûrs 🪭)
  • Tu as l’impression que tes collègues sont toujours plus compétents que toi (et tu ne te sens jamais “assez” : assez formée, assez compétente, assez légitime

Il y a d’autres exemples mais ces trois-là peuvent nous entraîner sur plusieurs pistes de réflexion intéressantes.

Le besoin d’appartenance

Les humains se comparent beaucoup, c’est même leur mode d’apprentissage ! 

Mais pour les ergos, ça devient parfois un tantinet obsessionnel (”un tantinet” c’est si désuet comme expression, j’adore 😁) : on se compare aux autres professions, on se compare entre nous, on se compare aux ergos des autres pays…

Alors se comparer pour progresser, oui, mais se comparer pour se juger et se sentir encore plus mal après… Non ! 😅

Le besoin de se comparer répond la plupart du temps au besoin de se sentir appartenir à un groupe.

Il y a là matière à réflexion : l’ergo étant souvent seul-e dans l’équipe, quelles solutions va-t-il trouver pour nourrir son sentiment d’appartenance ?

Le besoin de réalisation de soi

“En ergothérapie, on s’adapte !” 

Alors oui, cette phrase on l’a toutes et tous entendue, mais quand elle nous pousse à devoir quémander une salle d’ergothérapie parce que sinon on doit recevoir nos patients sur une table du réfectoire et que ça ne gêne personne… Aïe ! 🤨

Dans l’histoire de l’Ergothérapie avec un grand E, il a fallu souvent jouer des coudes pour avoir une place (physique et psychique), passer des alliances dans les équipes pour être connu et reconnu, expliquer des milliers de fois ce que c’est l’ergothérapie, rééxpliquer à chaque changement de paradigme, et se prendre la tête entre les générations d’ergos d’avant et d’après, en bref essayer d’ajuster notre paire de lunettes pour que ça soit déjà clair entre nous 👓

C’est quand même intéressant qu’on déplore le manque de reconnaissance de la part des autres alors que nous-mêmes nous cherchons à mieux nous connaître et nous comprendre encore sur bien des points 😊

Une piste serait alors de nourrir notre besoin de nous réaliser dans nos actions professionnelles avant même de demander aux autres de nous légitimer sur le sens qu’on met dans nos actes.

Le besoin de reconnaissance

Enfin, on nous parle souvent des professions de soin comme des métiers qui vont soulager la souffrance, résoudre des problèmes difficiles et trouver des solutions.

Dans l’imaginaire collectif, le soignant va soulager.

L’ergothérapeute va trouver une solution. Toujours. 

Même si c’est la situation la plus compliquée du monde, de toutes façons, l’ergo il s’adapte, non ? 😅

Je ne te fais pas un dessin, c’est hyper stressant !

Cela suppose être réactif pour toutes les situations qui pourraient advenir et franchement, quelle responsabilité !

On se met tout bonnement la pression d’être omniscient et de savoir répondre à toutes les demandes (bonjour perfectionnisme ! 😕)

Se sentir incompétent quand on pense inconsciemment qu’il VA FALLOIR trouver une solution car c’est notre job et que c’est ce qu’on attend de nous, c’est la clef du syndrome de l’imposteur chez les ergothérapeutes.

Comment surmonter le syndrome de l’imposteur : stratégies et solutions

“Je stresse car c’est pas dans ces missions-là qu’on m’attend”

Cette phrase est le symbole du décalage entre ce que nous savons de notre métier et ce qu’on pense que les autres pensent de notre métier (relis cette phrase si tu veux 🤣)

Oui, le syndrome de l’imposteur survient quand il y a un décalage entre la personne qu’on pense qu’on est et la personne qu’on pense qu’on doit être pour accomplir l’objectif.

Attention, rappelle-toi que le syndrome de l’imposteur survient quand la personne pense qu’elle n’est pas à la hauteur alors que des éléments objectifs montrent le contraire.

On n’est pas en train de parler du cas où, oui, effectivement cet atelier de portage auprès des parents ça ne va pas le faire car tu ne sais pas faire un nœud avec une écharpe 😅

Dans ce cas-là, tu vas te former ou tu déclines la mission et on n’en parle plus.

Tu trouveras d’ailleurs le témoignage de Marie-Josée Drolet en bibliographie pour illustrer ceci : une fois formée, tu ne ressens plus de sentiment d’incompétence car il te manquait vraiment des données.

Le syndrome de l’imposteur, quant à lui, dure dans le temps, ne se soigne pas par l’acquisition d’une nouvelle formation et est du domaine de la perception de soi, donc des biais cognitifs.

Les solutions issues de la littérature pour prendre en considération le syndrome de l’imposteur

“Les ateliers d'autoréflexion et d'exercices guidés par des groupes pour surmonter le syndrome de l’imposteur sont les interventions éducatives les plus populaires.

Le coaching et la supervision structurée ont également été suggérés.

Dans tous les articles, trois thèmes ont émergé pour les stratégies d'adaptation : l'individu, le peer-to-peer (ce que je traduis par le pair-à-pair, donc des espaces de parole, de structuration de la pensée ou des groupes d’intervision par exemple) et l'institution.”

En somme, il s’agit d’utiliser les solutions selon le P-E-O :

  1. Se centrer sur la Personne : toi-même ! Nourrir ton estime de toi, apprendre à accueillir concrètement tes émotions et faire le lien avec tes besoins, apprendre à exprimer tes besoins sans avoir peur d’être rejetée.
  2. Cibler l’Environnement : reconnaître les obstacles et les facilitateurs. Dans quels groupes ou postes de travail t’es-tu sentie plus légitime/acceptée ?
  3. Pratiquer des occupations qui ont du sens : aller dans des groupes de supervision, discuter avec d’autres ergothérapeutes, structurer son intériorité pour mieux se comprendre font partie des solutions

Conclusion

En tant qu’ergothérapeute en France, la quête de reconnaissance est constante. 

Pourtant, il est temps d’arrêter de la chercher dans le regard des autres. 

Faisons un pas en arrière, prenons du recul, et reconnaissons nos propres besoins, avec bienveillance et légèreté, à travers cette discipline fantastique qu’est l’ergothérapie (oui, toi aussi, tu connais ! 😇).

C’est amusant de souligner ce paradoxe : pour être reconnu, il faut d’abord reconnaître ses propres compétences et renforcer sa confiance. 

Comment ? 

En adoptant une approche “méta” via la supervision, où l’on bénéficie d’un regard extérieur pour mieux se voir soi-même. 

Mais attention, pas n’importe quel regard : celui de nos pairs, des collègues qui comprennent notre métier, comme le souligne la littérature.

Et si tu te reconnais dans ce syndrome de l’imposteur, pose-toi cette question avec bienveillance : est-ce vraiment un manque de compétences ? 

Si oui, forme-toi. 

Mais si la réponse est “non, je le fais juste pour correspondre aux attentes de ma hiérarchie ou à une image idéale de l’ergothérapeute”...

Attention à ne pas tomber dans ce piège ! 😏

Cela rejoint aussi mes recherches sur l’auto-ergothérapie : l’idée d’appliquer à soi-même les principes que l’on propose aux autres. 

En d’autres termes, appliquer à soi ses propres outils d’ergothérapie est un acte fort qui affirme : l'ergothérapie peut m'aider à dépasser mon syndrome de l'imposteur

Reconnaitre et accueillir ses émotions, avoir un espace pour les verbaliser, se plaindre (oui, soyons français jusqu'au bout ! 😄), tout cela permet de rebondir, de trouver des solutions, et surtout, de sortir des attentes irréalistes des autres en affirmant notre propre vision de l’ergothérapie.

Cela revient à structurer nos savoirs et à les porter avec fierté, en affirmant :

  • “Oui, je peux faire cela et je le ferai”
  • “Oui, je peux faire cela mais je ne veux pas le faire”
  • “Oui, je peux faire cela mais je dois me former”
  • “Non, je ne peux pas faire cela”. Sans aucune autre justification.

Je suis curieuse de savoir si tu as d’autres astuces pour contrer le syndrome de l’imposteur dans ta pratique ? 

Écris-moi un mail si tu as des idées, comme tu l’a lu ci-dessus, utiliser la force du “cerveau collectif” dans ce genre de cas est essentiel !

 

Si tu veux discuter d’autres sujets propres à l’ergothérapie comme la santé mentale des ergothérapeutes et notre développement professionnel dans le contexte européen, abonne-toi à la NL pour te sentir “comme à la maison” 😊

 

Bibliographie :

Lettre à la génération actuelle et future de bioéthiciens et de bioéthiciennes : apprendre à naviguer entre la théorie et l’empirique

Combatting Burnout Culture and Imposter Syndrome in Medical Students and Healthcare Professionals: A Future Perspective

Individual differences in the impostor phenomenon and its relevance in higher education in terms of burnout, generalized anxiety, and fear of failure - PubMed

Overcoming imposter syndrome, addressing microaggressions, and defining professional boundaries - The Lancet Gastroenterology & Hepatology

Effet_Duning_Kruger.pdf

Unmasking imposter syndrome: individual responsibility or repercussions of systemic oppression? - British Journal of Anaesthesia

Educational interventions for imposter phenomenon in healthcare : a scoping review - PubMed

Imposter phenomenon in physical therapists : A cross-sectional observational study - PubMed

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